« Dans le café de la jeunesse perdue » - Patrick Modiano

Publié le par Tazouphi



A voir ce titre et cet auteur plantés là, en exergue, on pourrait croire que je m’apprête à vous servir une sorte de fiche de lecture. Pourtant, s’agissant d’un exercice à connotation scolaire, je l’adoucirais par le terme de compte-rendu…

 

Et bien non, point encore… Point du tout, même !


Ce livre, je viens à peine de le commencer. Il y a deux longs jours.


Je dis « longs » parce que finalement, souvent, je préfère à la lecture d’autres activités qui me demandent moins de concentration. Comme je l’ai dit ailleurs que sur ces pages (ici), il me faut de longues plages horaires devant moi pour m’adonner à cette activité que j’aimais tant.

 

Que j’aime encore, évidemment, mais la vie fait parfois qu’on met de côté les choses qu’on aime faire parce que les circonstances ne s’y prêtent pas et en bon perfectionniste, on refuse de ne faire que de l’à-peu-près… Et en lecture ce n’est pas un procédé efficace puisque à picorer dans ses lectures on finit par perdre le fil et finalement le refermer sans plus le rouvrir.


J’ai refermé tant de livres ces dernières années, à vouloir les lire absolument ! A les commencer et les recommencer sans cesse, sans pour autant parvenir à maintenir le rythme jusqu’au bout et lassée de ne jamais m’y investir complètement, je les ai lâchement reniés, les jugeant peu apte à me garder en éveil, avec l’envie au ventre de les continuer… Pensant alors que tout venait d’eux.

 

Finalement, non, ce n’était pas complètement leur faute… La meilleure preuve, c’est que durant mes vacances chez Lui, alors que mes filles étaient en lieu sûr pour 10 longs jours, j’ai acheté un livre et je l’ai dévoré en 3 petits jours… Les livres n’y sont donc pour rien, si mon rythme de maman solo, la semaine (soupir), m’empêche de m’y plonger à loisir…

 

Lundi soir dernier, donc, j’ai attrapé ce livre de Patrick Modiano. Un livre que j’ai acheté simplement pour le titre il y a environ 6 mois. Il y a des titres qui me parlent et d’autres qui n’évoquent rien. Ceux-là, souvent ne sont même pas achetés ! Je trouve primordiale cette entrée en matière. Ce raccourci qui doit donner envie en donnant à voir, une simple touche, une allusion ou au contraire, quelque chose d’absolument contradictoire mais qui éveille l’intérêt…

 

Tout d’abord parce que depuis quelques mois je déteste le lundi.

 

Il a la mauvaise idée de venir juste après le dimanche. Qui en soi n’est pas mauvais, puisque j’en ai une bonne moitié avec Lui. La vérité c’est que la nostalgie nous gagne dès le tout petit matin et s’en défaire est assez mal aisé… Le dimanche soir est honni. En général, Il est sur cette route, si longue qui l’emmène si loin de moi. Je me couche tôt pour être plus vite au lendemain.

 

Le lundi est un bien triste jour parce 4 longs jours lui succèdent encore. Parce que le contraste avec le week-end est trop intense et parce qu’il tranche entre la cellule de 4 et la cellule de solo avec 2 enfants, les soucis, le rythme effréné à reprendre… C’est aussi un jour où je me couche tôt.

 

Je n’avais pas vraiment sommeil, pourtant, lundi dernier quand je m’apprêtais à me coucher. J’ai donc fait un tour du côté de ma bibliothèque, oubliant les ouvrages déjà commencés et lâchement abandonnés : Fernando Pessoa, Michel Onfray, Michael Connelly, Gérard de Nerval…

 

Quand je me suis souvenue du « Café de la jeunesse perdue ».

 

Durant mes études de lettres, j’avais étudié Modiano. S’agissant un peu comme Marguerite Duras le faisait de façon poétique, de tranches de vie.

 

J’avais à peine 19 ans lorsque j’ai étudié ces auteurs. Je peux affirmer aujourd’hui que c’était beaucoup trop tôt. Comment apprécier pleinement les « tranches de vie », lorsque soi-même on y entre à peine ? On vient juste de quitter le giron familial, le cordon à peine tranché, juste en train de cicatriser, que connaît-on de cette vie ? Rien, presque rien…

 

Je me souviens qu’au même âge et durant quelques années, je n’aimais pas les films qui traitaient des « tranches de vie » : pas vraiment de début, pas vraiment de fin, quelques émotions étouffées, pas de rêves, pas de grand Happy End qui font la force des films américains, pas de cul-cul, peu de gnan-gnan, un bout de vie tranché dans le lard. Un truc à se faire royalement ch**… Je pensais, naïvement…

 

Rien d’étonnant à cela. On ne peut pas comprendre la vie quand on ne s’est pas frotté à ses épines.


Alors, Modiano, je l’ai lu comme on lit les choses qu’on n’aime que moyennement. On le lit dans l’instant, on étudie son chapitre, on en fait un exposé et pfuitttttttt, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il est oublié.


C’est tellement dommage !

 

Lundi soir, je me suis jetée dans ce livre.

 

Et j’ai aimé. Tellement aimé.

 

Parce que l’écriture est simple, elle coule de source. Des phrases courtes qui disent l’essentiel, sans fioriture. Les portraits ne sont que par petites touches. Aucunes descriptions. A peine effleurés, les lieux. Et pourtant dans ce si peu de mots utilisés pour rendre compte, l’imagination s’emballe. Elle parvient à recréer tout ce qui est éludé. Quelle magie. Et on se retrouve embarqué dans cette histoire de gens, de jeunes paumés ou moins jeunes d’ailleurs, malmenés par la vie et qui durant peut-être le temps d’un hiver, vont se réchauffer dans ce café des journées et des soirées entières. Sans parler vraiment d’eux, ils sont ensemble et cela leur suffit pour oublier qui ils sont. Surtout ce qu’ils ne sont pas…

 

Et je me suis rendue compte, moi, la boulimique des romans, qu’il ne fallait pas forcément une grande histoire, ni une grande intrigue. Les personnages suffisent parfois… Les gens… Comme dans la vraie vie… Comme dans « Ensemble, c’est tout ! »…

 

Ce livre, cette écriture m’a mis des frissons…

 

Et je me souvenais de la prof qui nous enseignait cet auteur.

 

Une femme immense et longiligne toujours habillée de longues robes aux couleurs éclatantes, ses cheveux noirs de jais, le carré court, épais qui encadrait son fin visage, ses lèvres pulpeuses au maquillage posé à la va-vite, rouge sang, la cinquantaine appuyée, la cinquantaine qui a vécu, son odeur de parfum et cigarette mêlée, sa voix cassée à la façon de Jeanne Moreau. Quelle prestance elle avait ! Et la façon si enthousiaste qu’elle avait de parler de ces deux auteurs, comme j’aurais pu parler de Tolkien (que je trouvais tellement fabuleux à l’époque, tellement « mieux » ;o)…

 

Et je me suis souvenue de ce cours où elle nous avait parlé de Modiano, « ce grand homme tout timide, incapable de parler, lorsqu’il est invité sur un plateau télé pour parler de son livre, il est incapable de faire des phrases cohérentes. Il commence, s’arrête, met des interjections qui sont davantage des onomatopées, bref, une vraie catastrophe audiovisuelle ».

 

J’avais été sidérée… Et pourtant à fois je le comprenais. Ce manque d’aisance à parler, à faire écouter sa voix quand on a tant d’aptitude à parler en silence… Comment la tête fonctionne quand elle est si prompte à s’exprimer par la plume et si retors pour s’exprimer de la voix ?

 

Bref, cela fait deux jours que je m’occupe autrement, que le livre posé sur mon lit me fait de l’œil sans que j’ai la moindre minute à lui offrir.

 

J’ai hâte de retrouver « Louki », « Fred », et les autres. Ces gens qui se sont rencontrés là, à cet instant de leur vie. Chacun se donnant un surnom parce que personne n’ose demander la vraie identité. Ils partagent sans se dévoiler. Ils sont des inconnus les uns pour les autres, des pieds cassés qui le temps de quelques mois se trouvent bien ensemble…

 

J’ai hâte des prochaines vacances chez Lui.

 

Des plages horaires laissées à l’abandon pour pouvoir alors, m’abandonner dans ces pages aux ellipses si parlantes et qui résonnent encore.

 

Deux jours après la lecture…

 

Modiano… Modiano… J’ai encore bien des choses à lire !

 

Chouette !

 

 

 

Tazounette.

Publié dans Plaisirs de lecture

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S
ça donne envie de lire... :)
Répondre
T
<br /> <br /> Oui, l'enthousiasme du début de bouquin...<br /> <br /> Hélas, la suite ne vaut pas le début... L'intéressant néanmoins c'est que le narrateur change de peau à chaque chapitre, devenant tour à tour chacun des "habitués" de ce café parisien... Enfin<br /> bon, ce qui était prometteur, se ralentit. Preuve s'il en est une que l'auteur se reconnaissait visiblement beaucoup plus dans le premier personnage que dans les autres, qu'il endosse ensuite<br /> avec un certain recul.<br /> <br /> Il y a une dissonance curieuse. Même si l'écriture en elle-même reste la même, agréable à lire, mais la densité du premier chapitre n'est plus dans les suivants...<br /> <br /> Merci, Sola de ta fidélité dans ces pages !<br /> <br /> <br /> <br />