La guerre est finie...




La guerre est enfin finie.

 

Je me le répète inlassablement, je crois qu’au fond de moi, je n’y crois pas vraiment. Je me prépare chaque jour et je viens m’asseoir ici, sur ce muret, juste en face de la gare avec le secret espoir que bientôt, il apparaîtra devant moi... Fatigué, usé par cette guerre dont personne ne voulait…

 

Je ne sais pas s’il reviendra. Seul l’espoir me guide encore. De ces souhaits qu’on ne peut taire, qu’on ne peut étouffer et qui nous font avancer vers demain, quand hier est tellement loin et que seul demain peut contenir une suite....

 

J’essaie depuis des mois, depuis des années peut-être, de me souvenir de nos peaux qui se rejoignent, j’essaie vainement, impossible de retrouver les sensations. Tout est comme entre parenthèses, mis sous silence. Quatre ans sans le moindre petit baiser, sans la moindre caresse ! Mon corps se souviendra-t-il ? Maintes fois je réitère cette question tandis que je me lave, me vêt, me parfume… Répétant ces gestes comme un cérémonial. Ce flacon dans lequel j’ai mis mes dernières économies, une folie passagère, acheté quelques mois auparavant, dans l’espoir de son retour.

 

Je fantasme sur nos retrouvailles, je me pose tant de questions ! La guerre laisse-t-elle quelque chose de bon, ou balaie-t-elle tout sur son passage, même ce qui fût autrefois ? Saurons-nous faire à nouveau, ensemble, comme avant, aussi bien sinon mieux ? De cette fièvre accumulée. De cette fièvre qui se nourrit des désolations, des douleurs, du manque, de l’absence et qui rend, après la timidité première des gestes que l’on doit réapprendre, la ferveur des peaux qui se libèrent du passé pour naître, à nouveau, au présent… J’y ai pensé longuement lorsque consciencieusement j’ai déplié les bas de nylon aussi fins que mon voile de mariée.

 

J’ai hâte de le retrouver, de l’embrasser enfin du regard. Ma mémoire ne me renvoie qu’un souvenir flouté, imprécis, amoindri de cette consistance propre au charnel. Souvenir fugace, qui passe... Comme la douleur. Comme la mort. Comme la guerre.

 

Je suis assise sur cette pierre froide, le soleil brille et caresse ma peau satinée, l’hiver se termine enfin. Je ferme les yeux et tente de retrouver des bribes de remembrance. Tout est si loin. Tout est parti avec ces larmes versées de découragement, de frayeur, de peur qu’il ne revienne pas, de frustration de ne pas avoir d’épaule, son épaule et ses bras dans lesquels enfin, m’abandonner.

 

Je suis restée debout tout ce temps. Je suis arrivée au bout de cette guerre. Femme à l’intérieur, brisée un temps puis révélée par cet espoir qui ne s’est jamais éteint.

 

Je l’attends. Toute femme que je suis, imperturbablement, je n’aspire qu’à le retrouver, malgré le temps écoulé, malgré ces quatre longues années ! Que cessent enfin ces innombrables questions qui tournoient dans ma tête si inutilement ! Retrouver ses lèvres, à lui, celles que j’ai tant connues avant que cette guerre ne nous arrache l’un à l’autre. Retrouver le goût de ses baisers. Se réapprendre l’un, l’autre, avec timidité d’abord, puis ferveur, peut-être... J’ai peur. De ces peurs qui ne paralysent pas mais qui déterminent l’importance des enjeux. L’importance des instants. J’ai peur que cette guerre ne nous ait finalement trop éloignés. Depuis 4 ans, je me répète sans discontinuer que « Non, cette guerre ne nous aura jamais ! Pas nous ! », que nous sommes plus forts que la douleur, que la distance, que les morts qui le hanteront si longtemps encore après son retour...

 

Malgré ces peurs intérieures, je sais qu’au premier regard, comme tant d’années auparavant, j’aurais envie de lui, avec cette magie sans cesse renouvelée de savoir qu’on a trouvé son port d’attache, quel que soit le voyage, quelle que soit la tempête, le port existe !

 

J’ai mis les gants de dentelle et le chapeau à voilette, parce que je sais qu’il les aime, parce que je veux lui plaire. Qu’il sache, au premier regard qu’il posera sur moi que durant ces quatre longues années, je n’ai rien fait d’autre que l’attendre.

 

J’ouvre lentement les yeux…

 

Il est là. Devant moi...

 

Enfin lui…

 

 

Tazounette
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